C’était un arrêt très attendu depuis celui rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 20 janvier dernier qui avait alors jugé que la rente accident du travail n’indemnise plus le déficit fonctionnel permanent.
Se posait alors la question de la pension d’invalidité. C’est chose faite !
Dans son arrêt du 6 juillet 2023, la deuxième chambre civile dans un moyen relevé d’office a jugé que « désormais, le pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».
Cette position est précédée d’une remarquable démonstration de son raisonnement avec rappel de la méthode de calcul de la pension d’invalidité : « Cette jurisprudence [antérieure], qui se justifiait par le souhait d’éviter des situations de double indemnisation du préjudice, se conciliait imparfaitement, ainsi qu’une partie de la doctrine a pu le relever, avec les modalités selon lesquelles cette pension est calculée. En effet, selon les articles R. 341-4 et suivants du code de la sécurité sociale, elle est déterminée, de manière forfaitaire, en fonction du salaire annuel moyen de l’assuré et de la catégorie d’invalidité qui lui a été reconnue.
30. La Cour de cassation, qui décidait, depuis 2009, que la rente accident du travail indemnisait les postes de pertes de gains professionnels et d’incidence professionnelle ainsi que celui du déficit fonctionnel permanent (notamment 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155), a remis en cause sa jurisprudence par deux arrêts rendus en assemblée plénière qui ont jugé que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947 et Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, publiés).
Le calcul de la rente accident du travail se fait, comme pour la pension d’invalidité, sur une base forfaitaire, de sorte qu’une distinction entre les modalités de recours des tiers payeurs selon qu’il s’agit de l’une ou l’autre prestation ne se justifie pas.
L’ensemble de ces considérations conduit à juger, désormais, que la pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. »
Le recours des tiers payeurs est une question centrale dans l’indemnisation du dommage corporel.
La victime va, à la suite d’un traumatisme, percevoir des sommes provenant de plusieurs organismes (indemnités journalières, remboursement de soins, prévoyance, etc…)
Le législateur a prévu un mécanisme permettant à l’organisme régleur de récupérer contre le responsable les sommes engagées du fait de l’évènement traumatique : c’est le recours des tiers payeurs.
Restent à définir ce que sont les sommes sujettes à ce recours.
Strictement encadré par les articles 29 et 32 de la loi du 5 juillet 1985, ce recours n’est pas extensible en dehors des cas visés par ces articles.
Malgré ces dispositions, il est tentant pour le régleur de tenir compte des indemnités chômage pour évaluer le perte de revenu de la victime.
La position de la Cour de Cassation est pourtant ferme depuis le 7 avril 2005 et réaffirmée à de nombreuses reprises.
L’arrêt du 25 mai 2023 ne déroge pas à cette position : les allocations chômage n’ouvrent pas droit à un recours subrogatoire. Elles n’ont donc pas à être déduites de la perte de revenus que subit la victime.
En outre, la cour d’appel avait rejeté la demande de perte de revenus futurs alors même qu’elle constatait que le nouvel emploi de la victime lui procurait des revenus moindres. Censure de la cour de Cassation qui estime que les pertes sont établies si le nouveau revenu est inférieur.
Régulièrement, la Cour de Cassation est contrainte de rappeler les principes de l’indemnisation en matière de dommage corporel.
Sur la question de la tierce personne, la jurisprudence est déjà bien fournie.
Rappelons que dans son arrêt du 8 février 2023, la 1ère chambre civile avait admis la nécessité de la tierce personne durant la période d’hospitalisation de la victime.
La 2ème chambre civile dans un arrêt du 25 mai 2023 se prononce quant à elle sur la question de l’aide à l’entretien du jardin.
La Cour d’appel de Bordeaux avait rejeté la demande en retenant que le recours à la tierce personne est destiné « aux personnes dans l’incapacité d’accomplir seules les actes essentiels de la vie courante relatifs à l’alimentation, le lever, le coucher, la toilette, l’habillage et les déplacements à l’intérieur du logement. »
La Cour de cassation censure et rappelle que « le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne y compris, le cas échéant, l’entretien de son jardin ».
Le 15 décembre 2022, la Cour de Cassation est revenu dans un arrêt sur plusieurs principes pour les réaffirmer.
La Cour d’Appel de Toulouse se voit rappeler à l’ordre sur plusieurs points :
Les faits :
Monsieur B. est victime d’un accident de moto en 2010.
Son droit à indemnisation n’est pas contesté par l’assureur.
Suite au rapport d’expertise, un désaccord persiste entre la victime et l’assureur sur le montant de l‘indemnisation de ce dernier.
La procédure :
Conseillé par Maître MESCAM, Monsieur B. porte ses demandes indemnitaires devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux puis interjette appel de la décision.
La Cour d’Appel de Bordeaux a rendu sa décision le 11 mai 2021 dont il sera interjeté pourvoi par la victime.
Problème soumis à la Cour de Cassation :
La Cour de cassation sur pourvoi du Cabinet a par arrêt du 30 mars 2023 censuré la décision de la Cour d’Appel de Bordeaux sur trois points.
Il était reproché à la Cour d’Appel :
Solution de la Cour de Cassation :
Sur la question du préjudice sexuel, la cassation n’est pas étonnante puisqu’il est établi de longue date par la nomenclature Dintilhac et par la jurisprudence qu’il est distinct du poste du déficit fonctionnel permanent. Peu importe en l’occurrence que l’expert ait décidé de le prendre en compte dans le DFP (le rapport d’expertise ne lie pas le Juge !)
Sur la question des titres-restaurant, la Cour de Cassation a retenu qu’il s’agit « d’un accessoire de la rémunération servie au salarié, qu’il ne constitue pas un remboursement de frais, mais un avantage en nature payé par l’employeur qui entre dans la rémunération du salarié ».
Dès lors, « la contribution de l’employeur à l’acquisition, par le salarié, de titres-restaurant, correspond, pour ce dernier, à un complément de rémunération dont la perte constitue un préjudice indemnisable ».
Sur la question du préjudice professionnel, la Cour de cassation censure en retenant qu’il fallait rechercher si la rupture conventionnelle du contrat de travail, intervenue après un reclassement au sein de l’entreprise à un poste adapté aux séquelles, était en lien ou non avec l’accident.
La précision est en la matière importante car elle permet de prendre en compte la perte de revenus après la rupture conventionnelle dès lors qu’il est établi qu’elle est la conséquence de l’accident.
« Les choses que je verrai ou que j’entendrai dire dans l’exercice de mon art, ou hors de mes fonctions dans le commerce des hommes, et qui ne devront pas être divulguées, je les tairai, les regardant comme des secrets inviolables. » (serment d’Hippocrate)
Le secret médical, qui trouve son origine dans le serment d’Hippocrate, est un devoir fondamental de l’exercice de la profession médicale, aujourd’hui encadré tant sur le plan pénal que déontologique.
Le secret médical est un devoir du médecin et un droit du patient. En dehors des exceptions strictement encadrées par la loi, le médecin n’a pas le droit de révéler une quelconque information sur un patient sans l’accord de celui-ci.
Une telle violation est punie de 1 an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende, à laquelle peut s’ajouter la mise en œuvre de la responsabilité du médecin dès lors que le patient souffre d‘un préjudice moral ainsi que les sanctions disciplinaires.
En matière de dommage corporel, s’est posée la question du respect du secret médical au cours des expertises : l’expert est-il délivré de cette obligation dans la mesure où la victime n’est pas son patient ?
La réponse, si elle paraissait évidente, ne l’était en réalité par pour tout le monde…
En l’occurrence, la victime d’un accident de la circulation avait subi une expertise diligentée par un assureur dans un cadre amiable. Contrainte de demander plus tard la désignation d’un expert judiciaire, elle avait eu la désagréable surprise de voir le médecin-conseil de l’assureur produire devant l’expert judiciaire le rapport d’expertise médicale établi par ses soins.
Elle avait alors déposé plainte pour violation du secret médical.
Sur le plan pénal, la Cour de cassation confirmait le 16 mars 2021 que « la communication à un tiers d’une pièce médicale couverte par le secret médical est par principe interdite, sauf accord exprès de la personne concernée »
Sur le plan disciplinaire, la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des Médecins avait infligé un blâme au médecin. En appel, la chambre disciplinaire nationale avait annulé cette décision et rejeté la plainte de la victime.
Le Conseil d’Etat annule cette décision le 15 novembre 2022 et retient « qu’il résulte de l’article L.1110-4 du Code de la santé publique que le partage d’informations couvertes par le secret médical entre professionnels de santé requiert le consentement de la personne concernée »
La condamnation de l’assureur pour offre insuffisante est bien connue des habitués du contentieux des accidents de la circulation puisque le Code des Assurances prévoit expressément les sanctions encourues.
En dehors des accidents de la circulation, les régleurs non sanctionnés – du moins jusqu’à présent – n’hésitaient pas à faire des offres insuffisantes (pour ne pas dire méprisantes compte-tenu des préjudices subis par les victimes)
Aussi la position du Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 mars 2023 est-elle la bienvenue et pourrait enfin sonner la fin de la récré !
Le Conseil d’Etat, qui est notamment compétent pour l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux subis dans les établissements de santé publics, a condamné l’assureur de l’hôpital en cause au paiement d’une indemnité destinée à réparer les préjudices ayant résulté directement pour la victime ou ses ayants-droits du caractère manifestement insuffisant de l’offre. Le Conseil d’Etat énonce très clairement que « ce préjudice est constitué par le fait pour la victime ou ses ayants-droits de s’être vu proposer une offre manifestement insuffisante au regard du dommage subi et d’avoir du engager une action contentieuse pour en obtenir la réparation intégrale en lieu et place de bénéficier des avantages d’une procédure de règlement amiable. »
Reste à savoir ce qui pour le Juge Administratif représente une offre manifestement insuffisante…
Ce principe est posé de façon constante par la Cour de Cassation, la question étant toujours de savoir si la victime a un devoir de minimiser son dommage dans l’intérêt du responsable.
Ainsi, ce principe protège la victime qui ne peut se voir reprocher par le régleur de refuser des soins, même sans risque notoire.
Le 15 décembre 2022, la Cour de Cassation a de nouveau affirmé ce principe au sujet de l’aide à la tierce personne.
Il est en effet reproché à la Cour d’Appel d’avoir limité le besoin en tierce personne pour la victime en retenant que, pour les courses, celle-ci pouvait fractionner le port des charges lourdes et réduire le temps de présence dans les rayons ou encore avoir recours à des services de livraison à domicile.
Le rappel de ce principe est d’autant plus heureux qu’il concerne ici un poste en général très discuté dans l’indemnisation des victimes : l’aide à la tierce personne. On voit en effet trop souvent apparaître une volonté des régleurs d’instituer une hiérarchie des aides où les besoins en aide humaine seraient évalués après la mise en place des aides techniques et de l’aménagement du logement.
Lien cour de cassation
La cour de Cassation de manière ancienne et constante considère que « le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été ni provoquée ni révélée que par le fait dommageable ».
Elle le rappelle régulièrement et a du encore une fois le rappeler par un arrêt du 9 février 2023.
Souvent évoqué dans le cas de l’état antérieur (non connu ou asymptomatique) de la victime aggravé par le fait dommageable, il est aussi fréquent de rencontrer des victimes atteintes d’une « pathologie évoluant lentement pour son propre compte ».
S’engouffrant dans ce vocable, le régleur fait alors valoir pour minimiser l’indemnisation, et alors même qu’elle est asymptomatique, que tôt ou tard la victime aurait souffert des conséquences de cette maladie. Les victimes se voient alors tout juste reconnaitre une dolorisation d’un état antérieur.
Dans cette logique de raisonnement, la Cour d’Appel avait donc refusé l’indemnisation de l’incapacité professionnelle de la victime par cette motivation : « Si l’état dégénératif arthrosique n’était pas symptomatique au moment de l’accident, il ne s’agit pas d’une pathologie latente soudainement décompensée, mais d’une pathologie évoluant lentement et pour son propre compte, qui existait antérieurement à l’accident et qui, faute de nécessité d’un examen d’imagerie adaptée, n’avait pas, jusque-là, été mis au jour. »
Rappel à l’ordre la cour de Cassation qui reprend la motivation habituelle.
Ainsi, il n’y a donc pas à distinguer, comme l’a fait la Cour censurée, entre pathologie latente décompensée et pathologie évoluant pour son propre compte.
L’assistance tierce personne (ATP) permet l’indemnisation de la victime dès lors qu’une assistance est rendue nécessaire par son état de santé. Cette aide peut être temporaire ou définitive et revêtir plusieurs aspects (surveillance ; assistance à la personne pour l’habillage ou la toilette ; aide ménagère ; aide pour les déplacements…)
Cette assistance ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime ; elle indemnise aussi sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne. Elle doit ainsi permettre à la victime de préserver sa sécurité et contribuer à la restaurer dans sa dignité.
Or trop souvent, par principe, l’aide à la tierce personne se trouve écartée durant les périodes d’hospitalisation, la question n’étant même pas abordée en expertise.
La motivation de la Cour d’Appel censurée en l’espèce par la Cour de Cassation est éloquente à ce sujet puisqu’elle considère que « l’hospitalisation tend à suspendre les contraintes de la vie quotidienne et garantit au patient un niveau élevé de sécurité ».
La censure de la Cour de Cassation rappelle une réalité de la situation des victimes : leurs besoins ne cessent pas à l’entrée de l’hôpital.
En effet, la victime peut avoir besoin d’une aide y compris pendant les phases d’hospitalisation (entretien du domicile, aide à des services administratifs, accompagner les enfants à l’école, s’occuper des animaux de compagnie…)
La Cour de Cassation le 8 février 2023 rappelle donc que l’indemnisation au titre de la tierce personne ne peut être écartée par principe du fait de l’hospitalisation.