• +05 56 48 78 00

Jurisprudences

Indemnisation d’une incidence professionnelle temporaire ?

Selon la nomenclature Dintilhac, l’incidence professionnelle a pour objectif d’indemniser :

  • les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, tel que le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle.
  • les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste,
  • la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap.

Plus clairement, il s’agit d’indemniser le préjudice professionnel hors pertes de revenus stricto sensu. Ce préjudice intervient après consolidation de l’état de santé de la victime.

Néanmoins, la Cour de cassation reconnait dans son arrêt du 25 avril 2024 que la victime peut subir une incidence professionnelle TEMPORAIRE c’est-à-dire avant la consolidation de son état de santé (en l’occurrence, elle n’avait jamais été consolidée).

La Cour crée t-elle un nouveau poste de préjudice ? Rappelons que la nomenclature Dintilhac n’est pas figée…

Pas tout à fait puisqu’elle décide que cette incidence professionnelle temporaire doit être indemnisée au titre de la perte de gains actuels en plus de la perte de revenus appréciée stricto sensu.

A suivre….

Lien Légifrance

L’imprudence de la victime non conductrice n’est pas une faute inexcusable

L’article 3 de la loi Badinter du 5 juillet 1985 dispose « Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident. »

Depuis une série d’arrêts du 20 juillet 1987, la Cour de Cassation a défini la faute inexcusable de la sorte : « seule est inexcusable, au sens de la loi du 5 juillet 1985, la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait du avoir conscience. »

Le 21 décembre 2023, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel d’avoir caractérisé une telle faute dans un cas où finalement même si la victime a été imprudente, elle n’a pas commis de faute inexcusable. Précisons que la victime « évoluait sur une planche à roulettes, à très vive allure, dans une rue à forte déclivité, sans avoir arrêté sa progression en bas de cette rue, dans une ville très touristique, au mois d’août, à une heure de forte circulation, en étant démuni de tout système de freinage ou d’équipement de protection ».

La Cour de cassation adopte par cette position l’esprit qui a présidé au vote de la loi Badinter de pouvoir indemniser la quasi-totalité des victimes non-conductrices.

Lien légifrance

Préjudice d’établissement et perte de chance de fonder un nouveau foyer

Selon la nomenclature DINTHILAC, le préjudice d’établissement consiste en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap.

Ce poste ne se confond pas avec le préjudice sexuel, et il peut exister indépendamment de tout préjudice sexuel.

Le préjudice d’établissement ne se limite à la perte de chance de se marier, de fonder une famille et d’élever des enfants. Il comprend plus généralement le bouleversement que subit la victime dans ses projets de vie : renoncer à une grossesse, ne plus pouvoir faire de rencontre, ne plus pouvoir élever ses enfants, …

Depuis une série d’arrêts du 15 janvier 2015, la Cour de Cassation ne limite pas le préjudice d’établissement à la victime qui n’aurait pas du tout pu fonder de famille. En effet, elle reconnait que ce préjudice recouvre aussi « en cas de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale ».

C’est ce principe qu’elle a dû rappeler le 21 mars 2024 pour un père de famille dont les difficultés comportementales et psychiques avaient non seulement conduit au divorce mais compromettaient aussi tout chance de réaliser un nouveau projet de vie familiale.

Cass., Civ.2., 21 mars 2024, n°22-21.101, Lien Cour de Cassation 

Le versement d’une rente au titre de l’assistance par tierce personne ne peut être subordonnée à la production annuelle d’une attestation de non versement de la prestation de compensation du handicap.

Vaste sujet que la déduction de la PCH sur l’indemnisation reçue de la victime !

La prestation de compensation du handicap (PCH) est une aide financière destinée à compenser la perte d’autonomie dans la vie quotidienne et sociale. Elle est allouée à la victime qui en fait le demande par la CDAPH ; elle est, depuis le 1er janvier 2022, attribuée pour une durée de maximale de 10 ans(et de façon exceptionnelle sans limitation). A la fin de ladite période, il appartient au bénéficiaire de la PCH de déposer un nouveau dossier. Il n’est en revanche jamais certain que la personne qui a bénéficié de la PCH une première fois se la verra attribuer une nouvelle fois…

Quand la victime a droit à une indemnisation par un tiers responsable, s’est posée la question de savoir si la PCH pouvait se déduire de l’indemnisation à la charge de ce tiers.

Pour les assureurs, la jurisprudence est claire : c’est non ! La PCH n’est pas une prestation soumise à recours.

Mais dans le cas où l’indemnisation est à la charge du Fonds de Garantie, c’est l’article 706-9 du CPP qui donne la réponse : la CIVI, compétente en pareil cas, « tient compte également des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs au titre du même préjudice ».

Les termes « indemnités de toute nature reçues ou à recevoir » étend de façon très large les possibilités de déduction…

S’engouffrant dans cette brèche, le Fonds de Garantie ne manque pas de demander la déduction d’une éventuelle PCH qui n’est pas toujours sollicitée par les victimes et de la déduire à titre viager alors même que rien n’en garantit le caractère viager….

En l’espèce le Fonds avait obtenu de la Cour d’Appel sur le fondement de l’article 706-10 CPP de subordonner le versement des sommes au titre de la tierce personne à la production annuelle de non perception de la PCH.

Censure – bienvenue – de la Cour de cassation qui juge que le versement de la rente au titre de la tierce personne n’est pas subordonné à une telle justification !

Lien Légifrance

La pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

C’était un arrêt très attendu depuis celui rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 20 janvier dernier qui avait alors jugé que la rente accident du travail n’indemnise plus le déficit fonctionnel permanent.

Se posait alors la question de la pension d’invalidité. C’est chose faite !

Dans son arrêt du 6 juillet 2023, la deuxième chambre civile dans un moyen relevé d’office a jugé que « désormais, le pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent ».

Cette position est précédée d’une remarquable démonstration de son raisonnement avec rappel de la méthode de calcul de la pension d’invalidité : « Cette jurisprudence [antérieure], qui se justifiait par le souhait d’éviter des situations de double indemnisation du préjudice, se conciliait imparfaitement, ainsi qu’une partie de la doctrine a pu le relever, avec les modalités selon lesquelles cette pension est calculée. En effet, selon les articles R. 341-4 et suivants du code de la sécurité sociale, elle est déterminée, de manière forfaitaire, en fonction du salaire annuel moyen de l’assuré et de la catégorie d’invalidité qui lui a été reconnue. 

30. La Cour de cassation, qui décidait, depuis 2009, que la rente accident du travail indemnisait les postes de pertes de gains professionnels et d’incidence professionnelle ainsi que celui du déficit fonctionnel permanent (notamment 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155), a remis en cause sa jurisprudence par deux arrêts rendus en assemblée plénière qui ont jugé que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947 et Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, publiés).

Le calcul de la rente accident du travail se fait, comme pour la pension d’invalidité, sur une base forfaitaire, de sorte qu’une distinction entre les modalités de recours des tiers payeurs selon qu’il s’agit de l’une ou l’autre prestation ne se justifie pas.

L’ensemble de ces considérations conduit à juger, désormais, que la pension d’invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. »

Lien Légifrance

Les allocations chômage n’ouvrent toujours pas droit à un recours subrogatoire.

Le recours des tiers payeurs est une question centrale dans l’indemnisation du dommage corporel.

La victime va, à la suite d’un traumatisme, percevoir des sommes provenant de plusieurs organismes (indemnités journalières, remboursement de soins, prévoyance, etc…)

Le législateur a prévu un mécanisme permettant à l’organisme régleur de récupérer contre le responsable les sommes engagées du fait de l’évènement traumatique : c’est le recours des tiers payeurs.

Restent à définir ce que sont les sommes sujettes à ce recours.

Strictement encadré par les articles 29 et 32 de la loi du 5 juillet 1985, ce recours n’est pas extensible en dehors des cas visés par ces articles.

Malgré ces dispositions, il est tentant pour le régleur de tenir compte des indemnités chômage pour évaluer le perte de revenu de la victime.

La position de la Cour de Cassation est pourtant ferme depuis le 7 avril 2005 et réaffirmée à de nombreuses reprises.

L’arrêt du 25 mai 2023 ne déroge pas à cette position : les allocations chômage n’ouvrent pas droit à un recours subrogatoire. Elles n’ont donc pas à être déduites de la perte de revenus que subit la victime.

En outre, la cour d’appel avait rejeté la demande de perte de revenus futurs alors même qu’elle constatait que le nouvel emploi de la victime lui procurait des revenus moindres. Censure de la cour de Cassation qui estime que les pertes sont établies si le nouveau revenu est inférieur.

Lien Cour de cassation

La tierce personne ne se limite pas aux besoins vitaux

Régulièrement, la Cour de Cassation est contrainte de rappeler les principes de l’indemnisation en matière de dommage corporel.

Sur la question de la tierce personne, la jurisprudence est déjà bien fournie.

Rappelons que dans son arrêt du 8 février 2023, la 1ère chambre civile avait admis la nécessité de la tierce personne durant la période d’hospitalisation de la victime.

La 2ème chambre civile dans un arrêt du 25 mai 2023 se prononce quant à elle sur la question de l’aide à l’entretien du jardin.

La Cour d’appel de Bordeaux avait rejeté la demande en retenant que le recours à la tierce personne est destiné « aux personnes dans l’incapacité d’accomplir seules les actes essentiels de la vie courante relatifs à l’alimentation, le lever, le coucher, la toilette, l’habillage et les déplacements à l’intérieur du logement. »

La Cour de cassation censure et rappelle que « le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne y compris, le cas échéant, l’entretien de son jardin ».

Lien Cour de Cassation

La Cour de Cassation réaffirme sa jurisprudence

Le 15 décembre 2022, la Cour de Cassation est revenu dans un arrêt sur plusieurs principes pour les réaffirmer.

La Cour d’Appel de Toulouse se voit rappeler à l’ordre sur plusieurs points :

  • Sur la question de la perte de revenus actuels, la Cour de Cassation censure les Juges du fond d’avoir retenu que seul l’arrêt effectif de toute activité entrainant cessation de revenus peut être indemnisé. Doit en effet être indemnisé la perte de revenus dès lors que les douleurs ont un retentissement sur l’activité professionnelle. Il n’est pas nécessaire que la victime cesse toute activité.
  • Sur la question de la tierce personne, la Cour de Cassation rappelle sa jurisprudence constante et établie : le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives. Le rappel à l’ordre portait sur le refus de la Cour d’Appel d’indemniser la majoration de 10% correspondant aux charges patronales. Est aussi relevée la contradiction de motifs de l’arrêt qui motive une tierce personne à 22€ de l’heure mais fait le calcul sur la base de 20€.
  • Sur la question de l’évaluation, la Cour de Cassation rappelle que les Juges du fond ne peuvent pas débouter la victime d’une demande d’indemnisation d’un préjudice dont ils ont admis le bien fondé. Il appartient alors aux magistrats au regard des éléments produits par la partie demanderesse d’apprécier le montant de l’indemnité. La tentation est en effet souvent grande pour le régleur, même quand le préjudice ne fait pas débat, de demander encore et toujours plus de pièces pour écarter son indemnisation aux motifs d’une impossibilité de calcul qui bien sûr serait imputable à la victime…  

Lien Judilibre

Préjudice professionnel, perte de revenus et préjudice sexuel : précision et rappel de la Cour de Cassation

Les faits :

Monsieur B. est victime d’un accident de moto en 2010.

Son droit à indemnisation n’est pas contesté par l’assureur.

Suite au rapport d’expertise, un désaccord persiste entre la victime et l’assureur sur le montant de l‘indemnisation de ce dernier.

La procédure :

Conseillé par Maître MESCAM, Monsieur B. porte ses demandes indemnitaires devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux puis interjette appel de la décision.

La Cour d’Appel de Bordeaux a rendu sa décision le 11 mai 2021 dont il sera interjeté pourvoi par la victime.

Problème soumis à la Cour de Cassation :

La Cour de cassation sur pourvoi du Cabinet a par arrêt du 30 mars 2023 censuré la décision de la Cour d’Appel de Bordeaux sur trois points.

Il était reproché à la Cour d’Appel :

  • De ne pas avoir indemnisé le préjudice sexuel indépendamment du taux de Déficit Fonctionnel Permanent
  • De ne pas avoir retenu l’avantage que représente les tickets-restaurant au titre de la perte de revenus
  • De ne pas avoir retenu de perte de revenus pour la victime postérieurement à la rupture conventionnelle avec son employeur alors même qu’elle avait perdu son statut de cadre, obérant nécessairement l’évolution de sa rémunération ; s’ajoutait de plus un sentiment de déclassement.

Solution de la Cour de Cassation :

Sur la question du préjudice sexuel, la cassation n’est pas étonnante puisqu’il est établi de longue date par la nomenclature Dintilhac et par la jurisprudence qu’il est distinct du poste du déficit fonctionnel permanent. Peu importe en l’occurrence que l’expert ait décidé de le prendre en compte dans le DFP (le rapport d’expertise ne lie pas le Juge !)

Sur la question des titres-restaurant, la Cour de Cassation a retenu qu’il s’agit « d’un accessoire de la rémunération servie au salarié, qu’il ne constitue pas un remboursement de frais, mais un avantage en nature payé par l’employeur qui entre dans la rémunération du salarié ».

Dès lors, « la contribution de l’employeur à l’acquisition, par le salarié, de titres-restaurant, correspond, pour ce dernier, à un complément de rémunération dont la perte constitue un préjudice indemnisable ».

Sur la question du préjudice professionnel, la Cour de cassation censure en retenant qu’il fallait rechercher si la rupture conventionnelle du contrat de travail, intervenue après un reclassement au sein de l’entreprise à un poste adapté aux séquelles, était en lien ou non avec l’accident.

La précision est en la matière importante car elle permet de prendre en compte la perte de revenus après la rupture conventionnelle dès lors qu’il est établi qu’elle est la conséquence de l’accident.

Lien Légifrance

Le secret médical et l’expert

« Les choses que je verrai ou que j’entendrai dire dans l’exercice de mon art, ou hors de mes fonctions dans le commerce des hommes, et qui ne devront pas être divulguées, je les tairai, les regardant comme des secrets inviolables. » (serment d’Hippocrate)

Le secret médical, qui trouve son origine dans le serment d’Hippocrate, est un devoir fondamental de l’exercice de la profession médicale, aujourd’hui encadré tant sur le plan pénal que déontologique.

Le secret médical est un devoir du médecin et un droit du patient. En dehors des exceptions strictement encadrées par la loi, le médecin n’a pas le droit de révéler une quelconque information sur un patient sans l’accord de celui-ci.

Une telle violation est punie de 1 an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende, à laquelle peut s’ajouter la mise en œuvre de la responsabilité du médecin dès lors que le patient souffre d‘un préjudice moral ainsi que les sanctions disciplinaires.

En matière de dommage corporel, s’est posée la question du respect du secret médical au cours des expertises : l’expert est-il délivré de cette obligation dans la mesure où la victime n’est pas son patient ?

La réponse, si elle paraissait évidente, ne l’était en réalité par pour tout le monde…

En l’occurrence, la victime d’un accident de la circulation avait subi une expertise diligentée par un assureur dans un cadre amiable. Contrainte de demander plus tard la désignation d’un expert judiciaire, elle avait eu la désagréable surprise de voir le médecin-conseil de l’assureur produire devant l’expert judiciaire le rapport d’expertise médicale établi par ses soins.

Elle avait alors déposé plainte pour violation du secret médical.

Sur le plan pénal, la Cour de cassation confirmait le 16 mars 2021 que « la communication à un tiers d’une pièce médicale couverte par le secret médical est par principe interdite, sauf accord exprès de la personne concernée »

Sur le plan disciplinaire, la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre des Médecins avait infligé un blâme au médecin. En appel, la chambre disciplinaire nationale avait annulé cette décision et rejeté la plainte de la victime.

Le Conseil d’Etat annule cette décision le 15 novembre 2022 et retient « qu’il résulte de l’article L.1110-4 du Code de la santé publique que le partage d’informations couvertes par le secret médical entre professionnels de santé requiert le consentement de la personne concernée »

Lien Légifrance Conseil d’Etat

Lien Légifrance Cour de Cassation

12